mercredi 20 octobre 2010

Si j'avais fait de la politique, j'aurais mis le voile, par Mériam Cheikh (mars 2010)


Je me suis toujours demandé, après avoir longuement milité et surtout avant de me lancer dans une thèse en anthropologie, quelle aurait été la posture esthétique que j'aurais adoptée si j'avais fait de la politique. Il est très clair pour moi que j'aurais décidé de porter le voile.
Idée qui pourrait sembler étrange à ceux qui me connaissent. Je l'aurais fait non pas par conviction religieuse, ni par désir de séduire un certain électorat, ni par peur des machos des « quartiers difficiles » où j'aurais naturellement fait campagne.
Je l'aurais mis pour désamorcer ce qui, dans le champ politique, empoisonne la vie de nombreuses femmes : la séduction.

« Désérotiser » la politique 

Je ne parle pas ici de toute forme de séduction, mais de celle qui est suscitée par le pouvoir et qui se nourrit de lui. J'aurais voulu porter le voile pour empêcher l'érotisation de ma personne auprès de mes partenaires et adversaires politiques, empêcher qu'on me réduise à l'effet de séduction produit par mon physique, empêcher qu'on m'entraîne systématiquement sur un autre terrain que celui des idées politiques.
J'aurais mis le voile pour « désérotiser » la rencontre, pour être prise au sérieux. Pour ne pas être perçue comme « l'enchanteresse » ou la « divine » -celle dont on dit « elle est bonne », et pas seulement dans les cités-, dont la « couleur exquise » et les « courbes voluptueuses » rappellent les « douceurs de l'Orient ».
J'aurais mis un voile pour éviter d'être prise pour la « beurette » qu'on imagine très douée pour les jeux de langue et moins pour d'autres échanges.

L'unique moyen d'être l'équivalent des politiciennes blanches

J'aurais porté le voile car, pour une jeune Française d'origine maghrébine, il me paraît être l'unique moyen d'être l'équivalent de ces politiciennes blanches (Simone Veil, Martine Aubry, Michèle Alliot-Marie, Elisabeth Guigou). Parce que leur corps est peu ou pas érotisé, elles sont d'abord perçues comme des politiciennes plutôt que comme des femmes.
Comme elles, j'aurais voulu être jugée sur mes convictions et mes projets -comme sur mes erreurs et mes fautes- plutôt que sur mes « atouts » et « faiblesses » proprement féminins.
Bien évidemment ce voile aurait donné lieu à des réactions très différentes. Beaucoup auraient tout simplement refusé de m'écouter au nom du rejet du « fondamentalisme islamique ». Tout comme ils refusent d'écouter Ilhem Moussaid, la candidate NPA qui déchire la gauche. Dans l'imaginaire paternaliste et sexiste caractéristique du communautarisme blanc, elle ne peut être que la « marionnette » agitée par Olivier Besancenot à des fins électoralistes.
À l'opposé, une minorité aurait approuvé mon geste, parfois par réflexe identitaire mais aussi -et c'est ce qui m'importe le plus- parce qu'elle y aurait vu la perspective d'autres possibles politiques pour les jeunes filles issues de l'immigration, coincées entre le statut de « beurette » et celui de « beurette-sois-belle-et-tais-toi-quand-tu-fais-de-la-politique ».
Les « sans opinions fixe » auraient jugé recevables les prémisses de mon argumentaire mais auraient mis en doute l'opportunité d'un choix vestimentaire synonyme de « régression des acquis féministes ».

« Jolie maghrébine » 

Je leur aurais répondu que l'émancipation féminine passe d'abord et surtout par le droit, pour une femme, de s'engager en politique sans faire une pause à la case « séduction ». Je leur aurais répondu, aussi, que j'ai déjà testé d'autres manières de contourner le problème de l'érotisation mais que ce dernier me paraît à peu près insoluble pour une « jolie maghrébine » évoluant dans le monde politique ou dans d'autres champs sociaux dominés par les hommes (il y aurait aussi beaucoup à dire de l'université).
Porter le voile, donc, se serait imposé à mes yeux comme la seule manière de me revendiquer, avant tout, en tant que militante politique. C'est par féminisme que j'aurais porté ce voile. Ne croyez pas que j'ai peur de mon érotisation ou que je la refuse.
Je veux simplement pouvoir choisir quand et comment je souhaite ou pas déployer mon érotisme. Cela signifie aussi que je veux pouvoir le neutraliser quand bon me semble et en particulier là où, comme dans le champ politique, j'estime qu'il ne devrait pas avoir droit de cité.

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