jeudi 21 octobre 2010

Le discours du Caire Obama et les arrières-pensées de la main tendue aux musulmans par Thierry Meyssan (juin 2009)

Le président des États-Unis a tendu la main aux musulmans lors d’un discours très médiatisé au Caire. Il entendait ainsi tourner la désastreuse page de la « croisade » bushienne au Grand Moyen-Orient. Toutefois, dans cet exercice de relations publiques, les envolées lyriques ont remplacé les clarifications nécessaires, tandis qu’apparaissaient les nouveaux appétits de Washington.



9 JUIN 2009

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Beyrouth (Liban)

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Thèmes
 Néoconservatisme, racisme
  USA : administration Obama

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Le Obama Show, à l’université du Caire, 4 juin 2009.
Le discours que le président Obama a prononcé le 4 juin au Caire [1] a été présenté à l’avance par les services de communication de la Maison-Blanche comme « fondateur d’une nouvelle ère ». Il a fait l’objet d’une intense campagne promotionnelle qui s’est conclue par un mail adressé par David Axelrod aux dizaines de millions d’abonnés de la liste de la Maison-Blanche [2]. Le conseiller en image de Barack Obama y invite les États-uniens à visionner la vidéo du discours qui, selon lui, marque un nouveau départ dans les relations de l’Amérique avec le monde musulman [3]. On l’a bien compris, ce discours s’adresse tout autant, sinon plus, aux électeurs US qu’aux musulmans. Son message principal peut être résumé ainsi : les États-Unis ne considèrent plus l’islam comme l’ennemi et souhaitent établir des relations d’intérêt mutuel avec les États musulmans. Ce message doit être pris pour ce qu’il est : un slogan de relations publiques. Examinons point par point ce discours.

Préambule : aimez-nous !

Dans une longue introduction, l’orateur a développé son message principal de main tendue. Barack Hussein Obama a justifié la rupture avec son prédécesseur par sa propre personnalité. Il a offert un moment d’émotion à son auditoire, comme on les aime dans les films hollywoodiens. Il a raconté son père musulman, son adolescence en Indonésie —pays musulman le plus peuplé du monde—, et son travail social à Chicago auprès de populations noires musulmanes. Ainsi, après nous avoir fait croire que la politique extérieure des États-Unis était fondée sur la couleur de peau de son président, on veut nous convaincre qu’elle reflète son parcours individuel. Pourtant personne ne pense que M. Obama est un autocrate en mesure d’imposer ses états d’âme. Chacun est conscient que la politique de Washington est le fruit d’un difficile consensus entre ses élites. En l’occurrence, le changement de rhétorique est imposé par une succession d’échecs militaires en Palestine, au Liban, en Irak et en Afghanistan. Les États-Unis ne considèrent plus les peuples musulmans comme leur ennemi parce qu’ils ne sont pas parvenus à les écraser. Ce réalisme avait conduit en 2006 à la révolte des généraux autour de Brent Scowcroft, déplorant la colonisation ratée de l’Irak et mettant en garde contre un désastre militaire face à l’Iran. Il s’était poursuivi avec la Commission Baker-Hamilton appelant à négocier avec la Syrie et l’Iran pour sortir la tête haute du fiasco irakien. Ce réalisme avait contraint le président Bush à limoger Donald Rumsfeld et à le remplacer par Robert Gates, le fils spirituel de Scowcroft et membre de la Commission Baker-Hamilton. Ce réalisme s’était incarné dans la publication du rapport des agences de renseignement attestant l’inexistence d’un programme nucléaire militaire iranien et détruisant ainsi toute justification possible d’une guerre contre l’Iran. Toujours à propos du grand amour retrouvé, le président Obama s’est présenté comme féru d’histoire et a égrené les apports de la civilisation musulmane au monde. Dans les films hollywoodiens, il y a toujours une séquence sur la diversité culturelle qui nous enrichi. Cependant le scénario misait sur l’affligeante ignorance du public US. M. Obama et son équipe ont réduit l’apport des peuples aujourd’hui musulmans aux inventions postérieures à leur islamisation. N’ont-ils rien créé avant ? En choisissant de réduire l’histoire des peuples musulmans à leur seule période islamique, Barack Obama a nié quelques millénaires de civilisation et a repris à son compte la rhétorique des islamistes les plus obscurantistes. Nous allons voir qu’il ne s’agit pas là d’une erreur, mais d’un choix stratégique. Enfin, le président Obama a abattu sa carte principale en appelant ses auditeurs à repenser leur image des États-Unis. « Nous sommes façonnés par chaque culture, issus des quatre coins du monde et acquis à un concept simple : E pluribus unum : « De plusieurs peuples, un seul » », a-t-il déclaré. Cette devise, qui devait exprimer l’unité des colonies nouvellement indépendantes d’Amérique, devient aujourd’hui celle de l’Empire globalisé. Nous seulement les États-Unis ne considèrent plus les peuples musulmans comme des ennemis, mais ils entendent les intégrer dans l’Empire global. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’establishment washingtonien a soutenu la candidature de Barack Hussein Obama. Le prénom musulman du président, comme sa couleur de peau, sont des arguments pour convaincre les peuples de l’Empire que le pouvoir qui les domine leur ressemble. Lorsqu’elle avait étendu son empire, la Rome antique avait fait de même en choisissant ses empereurs dans des contrées lointaines, tel Philippe l’Arabe [4]. La sauvagerie des légions n’en avait pas été changée.

1- La guerre globale au terrorisme

Après ce sirupeux morceau de violon, le président Obama s’est attaché à recoller son introduction avec la « guerre globale au terrorisme ». Il a donc établi une distinction entre l’islam, qui n’est pas mauvais comme le pensaient Bush et Cheney mais bon, et les extrémistes qui s’en réclament à tort, qui restent eux toujours mauvais. La pensée reste manichéenne, mais le curseur s’est déplacé. Le problème, c’est que depuis huit ans, Washington s’efforce de construire un adversaire à sa taille. Après l’URSS, c’était l’islam. A contrario, si ni les communistes, ni les musulmans ne sont les ennemis, contre qui les États-Unis sont-ils en guerre ? Réponse : « Al-Qaïda a choisi de les tuer sans merci, de revendiquer les attentats et il réaffirme aujourd’hui encore sa détermination à commettre d’autres meurtres à une échelle massive. Ce réseau a des membres dans de nombreux pays et il essaie d’élargir son rayon d’action. Il ne s’agit pas là d’opinions à débattre - ce sont des faits à combattre ». Et bien non, Monsieur le président, ce ne sont pas là des faits avérés, mais des imputations qui doivent être débattues [5]. Barack Obama continue : « Nous ne demanderions pas mieux que de rapatrier tous nos soldats, jusqu’au dernier, si nous avions l’assurance que l’Afghanistan et maintenant le Pakistan n’abritaient pas d’éléments extrémistes déterminés à tuer le plus grand nombre possible d’Américains. Mais ce n’est pas encore le cas. » À ce stade, le président apparaît enfermé dans un cercle vicieux. Il explique que les ennemis ne sont pas les musulmans en général, mais une poignée d’individus non représentatifs, puis il affirme que cette poignée d’individu doit être combattue en livrant des guerres contre des peuples musulmans. C’est tout le problème : Washington voudrait être l’ami des musulmans, mais a besoin d’un ennemi pour justifier ses actions militaires, et pour le moment, il n’a pas trouvé de bouc-émissaire de remplacement.

2- Le conflit israélo-arabe

Barack Obama a abordé la question de la Palestine de manière beaucoup plus large que ses prédécesseurs en y reconnaissant non pas seulement un conflit israélo-palestinien, mais israélo-arabe. Mais il n’a pas précisé en quoi, à ses yeux, les États arabes sont concernés. Il a prêché avec autorité pour la « solution à deux États », mais en éludant la fâcheuse question de la nature de ces deux États. S’agit-il de deux États souverains et démocratiques au sens réel du terme, ou d’un État pour les juifs et d’un autre pour les Palestiniens comme le revendique la « gauche » israélienne, ce qui implique un nettoyage ethnique et l’institutionnalisation complète de l’apartheid ? [6] Plutôt que de lever les incertitudes, le président Obama a préféré offrir à son auditoire une nouvelle « séquence émotion » avec lequel il a partagé sa compassion face aux souffrances des Palestiniens. Ce fut certainement le moment le plus abject de son discours : l’appel aux bons sentiments des victimes pour couvrir les crimes des bourreaux. Il a déclaré : « Les Palestiniens doivent renoncer à la violence. La résistance sous forme de violence et de massacre n’aboutira pas. Les Noirs en Amérique ont souffert du fouet quand ils étaient esclaves et de l’humiliation de la ségrégation. Mais ce ne fut pas la violence qui leur a finalement permis d’obtenir l’égalité des droits dans son intégrité. Ce fut la persévérance ferme et pacifique pour les idéaux au cœur même de la création de l’Amérique. Cette même histoire peut être racontée par des peuples de l’Afrique du Sud à l’Asie du Sud ; de l’Europe de l’Est à l’Indonésie. C’est une histoire avec une simple vérité : la violence ne mène nulle part. Lancer des roquettes contre des enfants israéliens endormis ou tuer des vieilles femmes dans un autobus, n’est pas un signe de courage ni de force. » Barack Obama caricature la Résistance palestinienne dans les termes de la propagande sioniste : des roquettes lancées contre des enfants endormis et des vieilles femmes tuées dans un autobus. Il reconnaît que leurs terres et leurs maisons sont occupées, mais il leur interdit de vouloir les reprendre par la force aux civils qui les occupent. Il reproche aux Palestiniens de ne pas utiliser des missiles guidés pour atteindre des cibles militaires et de se contenter de roquettes artisanales qui tombent à l’aveuglette. Le pire est ailleurs. Le président Obama se mue en donneur de leçons. Il demande aux victimes de renoncer à la violence et leur conseille de prendre exemple sur le mouvement des noirs états-uniens pour les droits civiques. Au demeurant, ce n’est pas en convertissant les blancs que King a obtenu des résultats, mais en prenant l’opinion publique internationale à témoin. Le président Johnson s’est alors trouvé contraint de céder pour faire bonne figure face à l’URSS. Après avoir reçu le Prix Nobel de la paix, Martin Luther King a continué la lutte en affirmant que son but n’était pas de permettre aux noirs de servir à égalité avec les blancs dans l’armée pour tuer les Vietnamiens aspirant à la liberté. C’’est après son sermon de Ryverside que Johnson lui ferma la porte de la Maison-Blanche et que les chefs du FBI décidèrent de le faire assassiner. À n’en pas douter, s’il était encore vivant, il dirait aujourd’hui que son but n’est pas de permettre à un noir d’accéder au Bureau ovale pour tuer des Irakiens ou des Pakistanais aspirant à la liberté.

3- La dénucléarisation

Évoquant les relations difficiles avec l’Iran, le président Obama a choisi de sortir par le haut de la polémique sur l’arme nucléaire. Après avoir reconnu le droit de l’Iran à se doter d’une industrie nucléaire civile, et admis que ni les États-Unis ni aucune autre puissance n’ont l’autorité morale pour autoriser ou interdire un État à posséder la bombe, il s’est prononcé pour un désarmement nucléaire global, impliquant aussi implicitement Israël. On sait que le Pentagone n’a plus les moyens financiers nécessaire pour entretenir la course aux armements nucléaires et négocie à ce sujet avec la Russie et la Chine. Ceci ne doit pas être interprété comme un élan pacifiste, le Pentagone menant simultanément des recherches sur les armes atomiques miniaturisées (exclues du Traité de non-prolifération) et renforçant ses alliances militaires, dont l’OTAN.

4- La démocratie

Le président Obama a déploré que son prédécesseur ait cru possible d’exporter la démocratie en Irak par la force, puis il s’est livré à un éloge du gouvernement du peuple par le peuple, et de l’État de droit. La chose était plaisante pour ceux qui se souviennent que la Constitution des États-Unis ne reconnaît pas la souveraineté populaire, et qu’en 2000, la Cour suprême a pu proclamer George W. Bush élu avant que le scrutin de Floride ne soit dépouillé. Elle avait l’air d’une farce venant d’un politicien retors qui vient de confirmer la suspension des libertés fondamentales par le Patriot Act, notamment la suspension de l’habeas corpus qu’il décrivait il y a peu comme le socle de la Justice. Elle paraissait cruelle aux Égyptiens qui n’avaient pas eu le privilège de faire partie des 3 000 invités. Lorsque Obama déclara « Il faut conserver le pouvoir par le consentement du peuple et non la coercition », ils pensaient au président Moubarak, inamovible depuis 28 ans. Lorsque Obama poursuivit « Il faut respecter les droits des minorités et participer, dans un esprit de tolérance et de compromis », ils pensaient aux éleveurs coptes dont on vient d’abattre les bêtes. Pour éviter que ce passage ne soit perturbé par des fous-rires nerveux, une voix anonyme cria dans la salle : « Barack Obama, on vous aime ! ». Il ne manquait qu’une petite fille avec un bouquet de fleurs à la main.

5- La liberté religieuse

Barack Hussein Obama fut particulièrement à l’aise sur le chapitre de la liberté religieuse. C’est qu’il s’agit-là d’un slogan bien rôdé. Depuis deux ans, Madeleine Albright prépare ce moment. Elle a observé que la résistance à l’impérialisme états-unien est souvent structurée par des groupes religieux, comme le Hezbollah au Liban ou le Hamas en Palestine. Elle en a donc conclu que les États-unis ne doivent plus laisser ce champ sans surveillance, et même qu’ils doivent l’investir en totalité. Dans un ouvrage consacré à ce sujet, elle préconise de faire de Washington le protecteur de toutes les religions [7]. C’est dans cette optique que le président Obama a évoqué les minorités chrétiennes, Coptes et Maronites, puis à appelé à la réconciliation au sein de l’islam des sunnites et des chiites. C’est aussi dans cette optique qu’il avait négligé l’histoire pré-islamique des peuples musulmans.

6- Les droits des femmes

Avec délectation, Barack Hussein Obama s’est offert le luxe de rappeler que son pays garantit aux femmes musulmanes le droit de porter le hijab, tandis que Nicolas Sarkozy l’a fait interdire dans les écoles françaises à l’époque où il se voulait plus néo-conservateur que Bush [8]. Et pendant qu’il parlait, le site internet de la Maison-Blanche affichait un article spécial attestant de la jurisprudence américaine. Avec habileté, il a rappelé que les États musulmans étaient parfois en avance en matière de droits des femmes. « En Turquie, au Pakistan, au Bangladesh et en Indonésie, nous avons vu des pays à majorité musulmane élire une femme à leur tête, tandis que la lutte pour l’égalité des femmes continue dans beaucoup d’aspects de la vie américaine, et dans les pays du monde entier. »

7- Le développement économique

Gardée pour la fin, la question du développement économique était la plus aboutie. Habituellement les grandes puissances échangent une aide immédiate contre des avantages disproportionnés à long terme. L’aide au développement est alors le cheval de Troie du pillage des ressources. Cependant, durant la campagne électorale, un accord bi-partisan a été conclu sur la réorientation de la politique extérieure US. L’idée principale, exprimée par la Commission Armitage-Nye, est de conquérir les cœurs et les esprits en offrant des services qui transforment la vie des gens sans coûter grand chose [9]. Hillary Clinton y a fait explicitement référence lors de l’audition sénatoriale pour sa confirmation au secrétariat d’État. Arborant le sourire du Père Noël, Barack Obama récita un catalogue de promesses enchanteresses. Il continua : « Nous nommerons de nouveaux émissaires pour les sciences chargés de collaborer à des programmes qui mettront au point de nouvelles sources d’énergie, créeront des emplois verts, numériseront les registres et archives, purifieront l’eau et produiront de nouvelles cultures. Dans le domaine de la santé au niveau mondial, j’annonce aujourd’hui une nouvelle initiative avec l’Organisation de la conférence islamique pour éradiquer la polio et nous intensifierons nos partenariats avec des communautés musulmanes pour améliorer la santé maternelle et infantile. » Cela n’était pas sans rappeler les engagements du Sommet du Millénaire, lorsque le président Bill Clinton annonçait la fin imminente de la pauvreté et de la maladie. Le président des États-unis conclut ce discours fleuve en citant le Coran, le Talmud et les Évangiles. Leur message se résumerait au fait que « Les habitants du monde peuvent cohabiter en paix. Nous savons que telle est la vision de Dieu. C’est maintenant notre tâche sur cette Terre ». Cette triple référence était peut-être imposée par le lieu, une prestigieuse université islamique. Il se peut aussi qu’elle traduise un certain désarroi. En pleine récession économique, les États-unis n’ont plus les moyens de maintenir leur pression sur les champs pétroliers du Grand Moyen-Orient —à plus forte raison, ils n’ont pas les moyens de réaliser les promesses du jour—. Cependant, ils espèrent reconstituer prochainement leur puissance. Dans la phase actuelle, ils doivent donc geler toute évolution régionale qui ne pourrait être qu’à leur désavantage. Ils craignent notamment l’extension de l’influence turque et iranienne et l’irruption de la Russie et de la Chine dans la région. Définir la paix en termes religieux et non politiques, c’est toujours gagner du temps.

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